Les résidents de la Jungle, dont 95% sont musulmans, célèbrent le
mois de ramadan dans un esprit de partage, sans pour autant abandonner
leurs tentatives de traverser la Manche
A 21h30, le soleil décline à Calais. L'avenue
principale de la Jungle est désertée sauf de quelques derniers réfugiés
qui précipitent leur pas pour rejoindre les tentes. Les Afghans,
Soudanais, Pakistanais, Syriens et Érythréens, rassemblés autour des
tables riches ou modestes, attendent tous "l'adhan", appel à la prière
marquant la rupture du jeûne. Sitôt cet appel fuse les migrants lèvent
leurs mains dans une prière pour un monde meilleur.
Les migrants
de la Jungle, dont 95% sont musulmans, ont accueilli le correspondant
d'Anadolu, en ce mois de Ramadan dans le plus grand campement de France,
situé près de Calais, dans le nord du pays.
La population du camp
n'a cessé de croître avec l'arrivée de l'été, pour dépasser le seuil de
5 000 migrants. Il est notamment possible de trouver de nouveaux
commerces et restaurants sur l'avenue principale de la Jungle, qui
portait autrefois le nom du Premier ministre britannique David Cameron. L'ambiance
du mois de ramadan se fait ressentir à la Jungle dès l'entrée du camp.
Il est presque impossible de rencontrer un individu avant l'après-midi
dans les rues de la Jungle qui s'animent normalement dès le lever de
soleil.
Les commerces et restaurants de la Jungle restent ouverts
pendant la journée, pourtant ils comptent très peu de clients jusqu'à la
rupture du jeûne. En effet, même les bénévoles britanniques, musulmans
ou pas, font le ramadan pour mieux comprendre la situation de ces
réfugiés.
Les gérants de ces commerces ne manquent pas d'inviter
les visiteurs de la Jungle dans leurs tentes, en posant toujours la même
question avant d'offrir de la nourriture : "Do you ramadan?"
[Faites-vous le ramadan?]
Une réponse affirmative à la question
fait sourire ces gérants, dont certains répliquent par "al-Hamdoulilah"
(Louange à Dieu). Le ramadan se transforme ainsi en un des moments rares
où les réfugiés et les non-réfugiés sont mis sur un pied d'égalité.
Le
camp s'anime brusquement à l'approche du coucher de soleil. Les tables
d'al-iftar (rupture du jeûne), grandes ou petites, installées dans les
quatre coins de la Jungle, accueillent tous les visiteurs, sans
distinction d'ethnie, de langue ou de religion.
Les restaurants
s'oeuvrent toute la journée à préparer leur meilleur menu pour l'iftar.
Pilaf afghan, samoussa, plats de viande et sirop de rose sont servis sur
les tables, accompagnés de naan, galette indispensable des repas en
Asie du Sud.
Les gérants de restaurant n'acceptent pas l'argent en
échange de l'iftar et font tout pour inviter les bénévoles ou encore
les journalistes à leurs tables. Les migrants, qui préparent eux aussi
des menus d'iftar, sûrement plus modestes, ne manquent pas non plus
d'inviter les visiteurs de la Jungle .
Les résidents de la Jungle
n'hésitent pas à partager leur nourriture alors que l'Etat français
n'accorde presque aucune aide humanitaire aux réfugiés durant le
ramadan. Mais pour ces réfugiés, le partage est un devoir pendant ce
mois sacré des musulmans.
Pour la plupart des migrants, il s'agit
de leur premier ramadan dans la Jungle. Ils n'arrivent peut-être pas à
le célébrer dans des conditions idéales, dans ce camp envahi par des
rats, mais répondent tous "al-Hamdoulilah" lorsqu'on leur demande
comment ils vivent le ramadan cette année.
Les trois cuisines de
bénévoles de la Jungle qui assurent la livraison des repas n'épargnent
pas leurs efforts durant le ramadan. Elles livrent des repas deux heures
avant l'iftar et procèdent aussitôt à préparer le "sahur" (repas de
l'aube).
Les cuisines continuent pourtant à servir pendant la
journée pour les non-musulmans ou encore pour ceux qui ne font pas
ramadan. Elles travaillent ainsi deux fois plus que d'habitude, sans se
plaindre pour autant, à l'instar des réfugiés.
La Jungle, une région "autonome" de la France
La
Jungle qui fait partie, bel et bien de la France, montre pourtant
toutes les caractéristiques d'une région autonome. En effet, aucune loi
française n'est appliquée dans ce camp, qui est par ailleurs la seule
zone de France où l'appel à la prière est diffusé par haut-parleur.
Les
réfugiés se dirigent notamment vers la salle de prière "Omar" après la
rupture du jeûne pour prier les Tarawih, les prières quotidiennes du
soir pendant le mois de ramadan. La salle de prière accueille alors tous
les fidèles sans distinction de race ou de langue.
Le ramadan qui
change nettement la vie quotidienne dans la Jungle ne brise pas toutes
les habitudes. Les migrants n'abandonnent pas leurs tentatives de
traverser la Manche et vont au "try" [essayer, tenter en anglais, ndlr]
après la rupture du jeûne. Cet acte de "try" désigne les efforts de
monter à bord des camions qui se dirigent vers le Royaume-Uni.
En
revanche, il devient de plus en plus difficile de traverser la Manche
depuis la Jungle dès lors que le nombre des policiers en patrouille ne
cesse de croître comme les fils barbelés entourant le camp.
TRT