Photo: L'ancien otage Floribert Kambale Safari pose devant sa maison à Kayna, en République démocratique du Congo, le 15 juillet 2016 - afp.com/Eduardo Soteras
Kayna (RD Congo) - Floribert Kambale Safari a troqué sa condition
d'otage pour un nouvel asservissement. Enlevé pendant trois jours par
des bandits dans l'Est de la République démocratique du Congo, il devra
désormais consacrer pendant huit ans l'intégralité de son maigre revenu
au remboursement de la rançon ayant permis de le libérer.
Paysan, M. Safari reçoit l'AFP devant
sa maison en torchis coiffée d'un toit en tôle rouillée à Kayna, dans
la verdure des collines du Nord-Kivu.
Né en 1954, ce petit homme
au sourire triste et à la barbe poivre et sel raconte avoir été enlevé
de nuit, début mai, par trois hommes armés et cagoulés dans le cabanon
de son champ.
Les
ravisseurs exigent d'abord 1.500 dollars pour sa libération. Ils
finiront par accepter les 500 dollars péniblement récoltés par sa
famille à coup d'emprunts à droite, à gauche.
Sa mésaventure est loin d'être isolée : depuis plus d'un an, la région est frappée par une vague d'enlèvements.
Paysans,
chauffeurs, employés d'ONG, imams, prêtres catholiques, agents de
l'état... Les rapts se comptent par dizaines et se dénouent presque
toujours après versement d'une rançon, l'intervention des forces de
l'ordre étant extrêmement rare.
L'insécurité -- sur fond de
pauvreté généralisée -- est telle dans cette zone aux confins des
territoires de Lubero, Rutshuru et Walikale, que certaines oeuvres
caritatives comme la Croix-Rouge internationale ont suspendu leurs
opérations pendant plusieurs mois alors que les besoins ne manquent
pas.
Plusieurs milices comme les rebelles hutu rwandais des
Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) ou des groupes
d'autodéfense qui leur sont opposés sont actives dans la région et
pourraient être impliquées dans ces crimes, de même qu'un ou plusieurs
réseaux de bandits.
- 15.000 dollars -
Interrogé
par l'AFP à Goma, la capitale provinciale, le gouverneur du Nord-Kivu,
Julien Paluku, confesse une certaine impuissance.
"Nous sommes en train d'assister à un nouveau fléau (...) c'est un nouveau business", dit-il. "On est en train de réfléchir sur le mécanisme pour mettre fin à ça."
À
Kayna, comme dans la majeure partie du Congo, il n'y a ni eau courante,
ni électricité, pratiquement pas de rues bitumées, et les seuls
bâtiments en dur, fort décrépis, semblent dater de la colonisation belge
(avant 1960).
Depuis sa libération le 13 mai, M. Safari n'ose
plus retourner dans sa bananeraie par crainte d'être enlevé de nouveau
par les mêmes ravisseurs.
Pour tout revenu, il dit gagner chaque
mois 5.000 francs congolais (environ cinq dollars) que lui rapporte la
vente d'un bidon de "kasiksi" (alcool de banane) et sur lesquels aucune économie n'est possible.
"Je ne sais pas comment je vais faire pour rembourser", dit-il, "ici, on souffre ; si j'avais les moyens, j'irais vivre ailleurs".
Déménager,
c'est ce qu'a fait Isaac Kavusa Vukole après avoir été pris en otage.
Selon son témoignage, ce commerçant de Kayna qui approche la quarantaine
a été enlevé en septembre 2015 à son domicile par des hommes armés et
cagoulés qui l'ont conduit en forêt.
Deux jours durant, ses
ravisseurs font pression sur sa famille en menaçant de le tuer ou en le
fouettant pendant qu'il supplie ses proches de réunir les 15.000 dollars
qu'ils exigent. La famille arrivera finalement à réunir 4.500 dollars,
somme qui sera jugée suffisante pour le relâcher.
- Convoi armé -
Plus
prospère que M. Safari, M. Kavusa dit avoir remboursé en un mois les
3.000 dollars empruntés pour sa rançon. Mais au prix de la vente des
trois quarts de son stock, et il doit maintenant payer un loyer pour son
nouveau logement.
En voyage, "je vis en clandestinité. Le soir, je fais tout pour ne pas être visible",
dit M. Kavusa, contraint de revenir régulièrement à Kayna et dans ses
environs pour vérifier la bonne marche de ses boutiques.
Entre
Kanyabayonga et Kiwanja, plus au sud, ce sont les véhicules circulant
sur la piste (principal axe routier nord-sud de la province) qui ont
longtemps été visés.
Depuis quelques mois, à la demande de M.
Paluku, les voitures peuvent circuler en convoi escorté par un petit
nombre de soldats, à raison de deux départs par jour dans les deux
sens.
Conducteur de camion-benne, José Byamungu Muderwa, dit
avoir été un jour obligé d'arrêter son véhicule par des hommes armés
ayant emmené avec eux 17 personnes.
Plusieurs voyageurs faisant
route sous la protection des soldats estiment que celle-ci, pour
bienvenue qu'elle soit, est un pis-aller .
Pour Jeannot Kisiba, comptable trentenaire, les autorités feraient mieux "de mettre fin au problème de l'insécurité" qui gangrène la province depuis plus de vingt ans.
L'Express